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Vallée de la Roya

Feutrière

"Moi, j’arrive, je reprends ce fil et je continue de le tirer."

 

Emilie Oliver-Glemot

Portrait par Eric Lenglemetz
Recueil de témoignage par Noëlie Pansiot

 

Le feutre, une longue histoire de l’homme

Je suis feutrière, c’est à dire que je transforme la laine des moutons en feutre. On est peut-être une bonne centaine en France. En fait, c’est un très, très vieux métier mais qui s’est perdu en France même s’il perdure dans toutes les régions du monde : les Russes, les Lapons, les Estoniens ne sortent pas sans leurs bottes en feutres, c’est ce qui tient le mieux les températures froides qu’ils ont. Il y a même du feutre en Afrique, dans tout le Maghreb. Des gens ont peut-être fait du feutre, là-haut, dans la vallée des Merveilles, pour se tenir chaud...

Le feutre, c’est le 1er textile inventé par l’homme préhistorique, bien avant d’imaginer faire du fil et faire du tissage. 

Je ne me suis pas posée la question spécialement mais je me sens faire partie d’un  processus qui continue et qui fait son chemin : le savoir-faire de l’homme. 

Cette laine a toujours été récupérée, jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Il y a eu une interruption avec l’avènement de la fibre synthétique, l’économie de marché qui s’est mondialisée mais dans l’histoire de l’homme, jusque en 1950, on a toujours récolté la laine de toutes les bêtes et pas seulement les moutons. On a jamais rien gaspillé. Chaque laine servait à faire quelque chose : une couverture, un tapis, les tapis de selle pour les chevaux et les ânes. Et moi, j’arrive, je reprends ce fil et je continue de le tirer.

 

Un nouveau départ à la Brigue

J’arrivais d’Italie. J’ai voulu revenir en France en restant proche. Ce n’était pas possible pour moi d’élever mes enfants sur la Côte d’Azur, dans les villes, le trafic. J’ai donc remonté la vallée de la Roya, vers l’arrière pays. Par un hasard total, on a trouvé un logement à la Brigue et on est reparti de zéro. 

Très vite, j’ai rencontré des gens et ça a été le coup de foudre avec des éleveurs de brebis brigasques.

Je faisais déjà un peu de feutre en loisir créatif. Je travaillais des laines colorées, qui arrivaient un peu de droite et de gauche, je ne me posais pas la question de l’origine des laines. Et quand j’ai rencontré les éleveurs, là, ça a pris tout son sens. J’ai vu qu’ils produisaient des tonnes de laine dont ils ne faisaient rien et qui étaient jetées. Je me suis dit que moi, avec mes petites mains, je pourrais faire plein de choses avec et là, mon activité a pris de l’ampleur. On s’est soutenus, on a travaillé ensemble sur différents projets laine. 

En fait, la France et l’Europe sont de gros producteurs de laine. Ca se compte en milliers de tonnes annuelles mais elle n’est plus valorisée et elle part pour quelques centimes d’euros en Chine ou en Inde, même la plus belle, la Mérinos. Ensuite, elle revient en pulls pour les grandes marques mais entre temps elle a été traitée et elle a fait trop de kilomètres, c’est ridicule. Ca pollue, elle est traitée avec des produits chimiques et les gens travaillent comme des esclaves là-bas. Pour moi, ça n’a aucun sens. Il faut arrêter ça et transformer nos laines en circuits courts, tout simplement, en faisant des produits finis qui servent au quotidien.

 

De feutrière… à chapelière

Feutrière, ça veut dire qu’on fabrique une matière, mais avec laquelle on peut faire des tapis, des tableaux, des couvertures, des chaussures, des accessoires, des fringues. C’est une matière qui permet de faire plein de choses et on s’éparpille vite. Comme je suis un peu perfectionniste, j’ai compris assez vite qu’il fallait me spécialiser pour aller vraiment au bout de la technique. Comme j'ai toujours adoré les chapeaux et que c’est un objet utile en montagne, je suis partie là-dedans. Ca fait 10 ans que j'en fais  et je ne m'en lasse pas !

Je suis naturellement attirée par les gens qui travaillent la terre, en montagne,avec des conditions de vie extrêmes.

Ce sont souvent des gens qui ont des qualités particulières qu’on ne trouve pas ailleurs. Ce sont des gens riches. Je découvre leur métier, quelles races ils élèvent et je vais avoir envie de faire quelque chose avec leur laine. Forcément, ils sautent de joie parce qu’ils disent tous qu’ils jettent la laine et qu’ils ne savent pas quoi en faire. Je les incite aussi à s’associer, à se regrouper, parce qu’en association, ils peuvent traiter leur laine pour l’envoyer en filature. Un éleveur seul ne peut pas s’occuper de ça, il a trop de travail, mais en réseau on est plus fort et il y a de plus en plus d’associations qui se montent au quatre coins de la France avec les éleveurs de races locales : la laine de Ouessant en Bretagne, la basco-béarnaise des Pyrénées, les laines du Massif Central.... C’est une richesse qu’on a en France qui est merveilleuse. 

Selon la propriété de la laine, en fait, on peut faire des objets différents. Avec une laine douce, on peut faire des fringues ou des chaussettes. Les laines très grossières, qui ne passent pas dans les machines de nos filatures françaises avec leur poil long, sont très bien pour faire des chapeaux qui tiennent bien la forme. Ici, la vieille race du coin, c’est la brebis brigasque, qui a ce gros poil qui gratte. Les éleveurs en ont fait faire des tapis. C’est très adapté parce que c’est costaud et moi j’en fais des chapeaux aussi. 

 

Du sens

Alors c’est sûr que pour moi, tout cela a du sens. Je ne pourrai pas développer toute cette énergie pour faire un travail qui n’a pas de sens, qui pollue ou qui puisse faire du tort à qui que ce soit. J’ai l’impression d’être dans la bonne voie parce que je valorise une ressource locale. On développe des relations enrichissantes, on travaille sur l’humain et sur l’associatif, c’est stimulant. En d’autres termes, c’est comment monter de gros projets sans avoir de moyens, ni être soutenus : ce sont des challenges stimulants !

Et puis travailler avec ses mains, travailler de belles matières, c’est un plaisir quotidien. 

Depuis l’année dernière, il y a une jeune femme qui s’est lancée dans la teinture végétale sur la commune de la Brigue. C’est super parce ça me permet de travailler mes chapeaux en couleur. Elle me les teint avec toute sortes de plantes qui font des couleurs lumineuses. Je sollicite aussi les filatures pour qu’elles passent aux teintures végétales. C’est une transition qui va se faire je pense, mais c’est long. 

Quand je suis arrivée à la Brigue, j’ai découvert ce milieu montagne, que je connaissais à peine. J’avais grandi en Provence, dont le plus haut sommet est le Mont Ventoux. J’ai découvert tous les plaisirs de la montagne. Déjà, de vivre avec les saisons, c’est incroyable ! J’ai senti que je n’avais pas été sensibilisée aux saisons en grandissant en ville. Ici, chaque mois de l’année on a des couleurs différentes. C’est vrai que c’est un plaisir de tous les jours. Et puis on mange local, il y a plein de producteurs locaux. Le choix de venir ici, c’était aussi pour élever des enfants dans un cadre à taille humaine. La petite école de la Brigue nous a accueilli à bras ouvert, ça a été une deuxième famille pour mes filles. Et ce qui me plaît le plus c’est l’hiver, quand il a fortement neigé pendant la nuit, on est bloqué, la route est fermée, je ne peux pas aller travailler alors je chausse les skis avec les peaux de phoque et je pars du pas de ma porte en randonnée à ski. Ca, c’est le plus grand bonheur au monde !

 


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